La rivière pourpre

Quand on dit Kayak, on imagine bien le week-end du 15 août, dans les gorges de l’Ardèche avec 300 touristes au m2. Nous avions envie, cette fois, de repenser un peu les standards du kayak et foncer pour descendre la rivière Argens, de la source jusqu’à la mer (…en 48h). Soit 105 kilomètres, de Seillon jusqu’à Fréjus. Rien que ça.

Tenez vous bien, parceque, rien, enfin presque rien, ne s’est déroulé comme prévu.

Nous parons à 5h30, lundi matin, d’Aix. Mattias, qui nous a accompagné (toujours là dans les meilleures galères !), nous a rejoint sur l’autoroute. Avec deux voitures et à l’heure où certains se lèvent pour aller affrontrer les bouchons, nous garons la voiture de Mattias à l’arrivée (là où l’Argens se jète dans le mer, pour ceux qui ne suivent pas !) et nous remontons tous les trois dans le van pour accèder à l’endroit accessible le plus proche de la source et nous assurant une navigabilité minimum.

Sur place, les employés municipaux nous donnent leurs derniers conseils de baroudeurs du coin. On gonfle les bateaux, on range les affaires, on revérifie une dernière fois la carte, et hop, on saute sur les kayaks (1×1 place, 1×2 places) à 9h00 précise. En avant !

Le premier obstacle apparait…300 mètres après le départ. Un arbre qui parait avoir 900 ans vu la taille de son tronc est tout bonnement en travers de la rivière et des tas de branches et de pollens se sont accumulés en amont. Cela ne nous fait pas peur, c’est le premier ! On porte les kayaks sur le bord (berges très peu accessibles, mais on s’en sort quand même).

C’est reparti, nous sommes libres. Quoique. Quelques mètres plus tard, rebelotte. Cette fois, l’arbre est plus jeune, et c’est une partie sous l’eau qui nous empêche de passer. Impossible de sortir de la rivière à cet endroit là. Pas le choix, il faut sauter à l’eau pour essayer de dégager l’arbre. Je saute dans le pollens accumulé. A travers cette neige (qui est beaucoup moins agréable qu’un tapis de poudreuse), je saute sur la partie de l’arbre qui gène. L’arbre est mort et cette grosse branche ne tarde pas à casser, libérant ainsi l’accès pour les deux kayaks. Ouf…trempé mais à nouveau libre !

Nous enchainons comme ça plus d’une dizaine d’obstacles naturels (arbres morts, chutes d’eau) lorsque nous arrivons sur une chute de 8 mètres. Impossible de passer à bord des kayaks qui ne sont pas adaptés à ce type de saut, nous retirons quelques sacs. Mattias se propose de sauter à l’eau pour éviter que les bateaux partent dans le courant. Je suis sensé envoyer les kayaks dans la chute, mais le premier m’échappe et part seul. Mattias saute précipitamment dans l’eau glaciale afin de le récupérer au plus vite. (Nous soupconnons avoir perdu les bières prévues au bivouac à ce moment là !)

Malheureusement ce que nous pensions être le dernier passage « difficile » ne l’est pas ! En effet nous entrons à nouveau dans une section de la rivière où de nombreux arbres entravent notre passage.

Il est déjà 15h quand nous faisons notre première pause pour manger un morceau. Un point carte nous permet de constater que nous n’avons parcouru que 10km en 6h ! Sans perdre plus de temps nous repartons en se donnant comme consigne de ne chercher un endroit pour dormir qu’à partir de 19h30, pas avant. Nous avons parcouru moins de 10% de la distance totale.

Nous entamons alors une section où nous pouvons accélérer, à partir de Chateauvert. Le paysage, jusque là semblable à la forêt vierge, est maintenant plus dégagé et la rivière se faufile le long de magnifique falaises aux teintes brun/gris. Après seulement 7km de parcours sur ces eaux calme nous rencontrons à nouveau des chutes modestes en taille mais qui, une fois de plus, ralentissent grandement notre progression.

P1080608

Nous traversons Correns, passons à proximité de Montfort et le nouveau point carte ne se révèle guère optimiste pour la suite : nous passons la barre des 30km alors qu’il commence à être déjà tard. Cependant la rivière s’est récemment gonflée de nombreux affluents et nous pensons pouvoir avancer très vite le mardi. Si nous partons dès le lever du soleil nous pouvons encore atteindre la mer dans les 48h imparties.

Lors de la descente, un de nos kayak non équipé de pont, se rempli à chaque rapide et nous devons le vider régulièrement. Lorsque nous contrôlons à 18h le bateau en question il apparait que celui-ci est percé… Nous tentons une réparation de fortune au Duct Tape mais celui-ci ne colle pas suffisamment compte tenu de « l’humidité » ambiante.

Nous utilisons des kayaks gonflables. La partie percée correspond à la « planche » de fond. Sans cet élément, le kayak flotte encore très bien mais perd beaucoup de sa rigidité et donc de sa finesse. Pagayer dans de telles conditions reviens à ramer en tractant des cailloux au bout d’une corde.

A 19h45 nous trouvons une berge qui nous semble suffisamment dégagée pour y installer nos 3 hamacs pour la nuit. Au cours du repas nous faisons le point sur la situation :

  • nous avons parcouru environ 35km sur la centaine prévue,
  • nous n’avons pas de quoi réparer convenablement le kayak endommagé,
  • une pagaie a été partiellement cassée dans un rapide,
  • nous évaluons que nous allons probablement rencontrer d’autres obstacles de type « arbres »

Il est évident que l’objectif d’atteindre la mer est compromis… trop de casse matérielle. Nous partons nous coucher quelque peu déçus mais la fatigue l’emporte et nous passons une excellente nuit bercés par la rivière… et les moustiques !

mattias

Nous repartons sur nos kayaks le mardi matin avec comme objectif d’atteindre Carcès, située à environ 4km de notre bivouac. Nos pressentiments concernant les obstacles à venir se confirment rapidement. De nouveaux des arbres entravent notre progression. Nous prenons la chose avec philosophie, n’ayant plus d’objectif d’atteindre la méditerranée.

Nous arrivons à Carcès aux alentours de midi. Pendant que je fais sécher le matériel, Mattias et Lilian partent tous deux en direction du centre du village pour faire du stop, un en direction de Fréjus vers la voiture d’arrivée et un vers les chutes du Tombereau où se situe la voiture laissée au départ.

A 15h tout le monde est réuni, la microadventure du mois est terminée. Juste avant de partir, Lilian se rendra compte que le kit de réparation de crevaison du kayak était resté dans la voiture…