Depuis Fray nous avons comme objectif de rejoindre Cobán, sur les hauteurs. Nous prendrons deux jours pour y arriver. Un jour de vélo entre Fray et Chisec puis nous prendrons un collectivo (bus local) car la route est particulièrement grimpante et il nous a été déconseillé de la prendre car le traffic y est assez dense.
De Fray à Chisec
Nous avons 60km à parcourir pour rejoindre Chisec. Nous partons, comme à notre habitude, vers 8h après un petit déjeuner copieux. Il ne faut pas négliger ce point très important pour nous. Le repos du corps et de l’esprit est essentiel mais il faut aussi fournir à la machine les calories nécessaires. Pas le droit à la panne sèche.
La première partie de la route se fait à travers les champs de palmiers. Nous allons à bonne allure, nous savons que la fin de journée sera plus difficile. Nous avalons les 20 premiers kilomètres en 1h30. Nous sommes toujours autant en décalage avec les populations que la veille.
Des maisons entières courent vers la route sur notre passage, c’est touchant mais nous nous sentons tellement étrangers. Nous qui aimerions nous fondre dans la masse, c’est complètement raté ! Il faut dire qu’avec nos drapeaux et nos couleurs fluos nous sommes en décalage, mais sécurité oblige.
Lors du transfert de carriole au vingtième kilomètre nous nous retrouvons cernés par tout un village en quelques minutes, c’est à dire une trentaine de personnes. Comme aucun ne parle espagnol nous faisons des sourires et bafouillons quelques mots qui ont pour réponse des visages totalement stupéfaits.
Les filles commencent à jouer le jeux et lancent spontanément leur premiers « Holà ». Elles sont toutes fières. Elles comprennent que nous sommes un peu étranges car « Personne n’a les cheveux comme nous maman !«
Nous nous surprenons à chercher un coin « tranquille » où personne ne pourra sortir de la jungle à tout moment pour faire une pause pique-nique. Nous avons besoin d’épisodes calmes car la route demande une attention à chaque instant.
En reprenant la route nous abordons une nouvelle fois un passage non goudronné à l’approche d’un pont. Les rivières marquent les limites entre les différentes régions et il semble qu’elles ne se soient pas mises d’accord sur la prise en charge de la construction de nouveaux ponts et de l’aménagement des quelques centaines de mètres qui les entourent. A chaque pont c’est un détour par une piste avant de retrouver plus loin la route asphaltée.
La météo est clémente, nous avons tous les éléments pour avancer à bon rythme : légère brise, temps couvert et les jambes commencent à se faire.
Nous franchissons notre 1000ième km en fin de matinée. Nous l’arrosons le soir même avec la mignonnette de Porto offerte par Air France pendant le vol aller et conservée pour une bonne occasion
A partir du kilomètre 30 nous entamons une ascension à peine notable. C’est seulement sur les 5km derniers kilomètres qui nous séparent de Chisec, que se dressent devant nous une série de murs à franchir… décidément les fins de journée sont loin d’être faciles ! Nous avouons avoir dû pousser sur quelques mètres sur la dernière bute. Lorsque nous parlons de butes nous voulons dire que lorsque la pente est forte à la montée, elle l’est généralement aussi à la descente ! Malheureusement, même avec avec toute l’inertie accumulée depuis le sommet nous nous retrouvons systématiquement comme cloué au pied de la côte suivante. C’est tout de même grisant de frôler avec les 50km/h pendant quelques secondes.
Nous atteignons Chisec en début d’après midi. Nous avions repéré sur le Lonely planet un hôtel avec piscine et toboggans. Souhaitant faire plaisir aux filles qui ont été plus qu’adorables ces derniers jours nous envisageons de prendre un jours de repos dans cet hôtel. Nous en avons besoin pour digérer les derniers jours physiquement et mentalement assez exigeants.
Les filles pataugent dans une piscine à l’eau gelée et presque habitée (mais claire), essayent de glisser sur les toboggans « aquatiques » sans eau et manquent de perdre une (autre) dent sur les structures de jeux dignes de l’ex-URSS habilement situés au milieu de tas de ferrailles et autre outils de chantier. Nous peinons à trouver le repos dont nous avons besoin. Pour couronner le tout, dans la chambre, le matelas du lit est moisit, l’atmosphère n’est pas saine et alors que nous avons payé plus que le prix indiqué sur la porte de notre chambre, tout le monde fait la sourde oreille face à nos réclamations. Bon et bien pas de repos demain, on continue.
Nous partons en quête de la station de bus pour repérer le lieux pour le lendemain. A peine arrivés sur la place on entends crier tout autour de nous « Hey Gringo ! Cobán? … » Nous finissons par nous approcher d’un des collectivos et lui décrivons notre chargement. Il nous propose de nous prendre le lendemain matin à 10h pour Cobán. Parfait !
L’aventure c’est l’aventure !
Jeudi 11 Février au matin, il nous faut nous rendre à la station de bus en vélo. Nous nous dirigeons assez tôt vers la station de bus. Une courte montée bien raide mais comme ce sera l’unique effort physique de la journée nous l’abordons avec plaisir malgré la ville : traffic, piétons, poussière…
Nous nous étions donné 45 minutes pour transférer nos sacoches de nos vélos aux grands sacs que nous avons conservés à cet effet. Ca c’est la théorie.
A peine arrivé sur la place une foule composée uniquement d’hommes se presse autour de nous. Ils doivent être facilement 60. L’un deux nous fait signe qu’un bus part pour Cobán sur le champ et qu’il est pour nous. Compte tenu du brouhaha Lilian lui crie que nous avons besoin de 10 minutes pour nous préparer et que nous prendrons le prochain. Les filles intriguent et les plus curieux n’hésitent pas à les toucher… à la plus grande surprise des filles. Nous ordonnons à Liv et Tess de rester dans la carriole le temps que nous emballions les affaires.
Nous ne retrouvons pas l’homme de la veille qui nous avait donné un vague rendez-vous à 10h. Alors que nous tâchons tant bien que mal à défaire nos sacoches des vélos en voilà deux qui nous aident à les mettre dans les grands sacs et qui emportent le premier pour aller le mettre sur le bus qui est sur le point de partir. Tout le monde est d’une très grande gentillesse. Les rirent fusent de tous les côtés, nous sommes concentrés sur nos affaires et les filles.
Nos affaires et les vélos montent quasiment tous seuls sur le bus. Lilian grimpe sur le toit pour s’assurer que tout est bien attaché et rajouter lui même quelques cordes. Les filles sont collées à mes jambes. Le collectivo est quasiment plein mais le gérant fait bouger une ou deux personnes pour que nous puissions être assis à côté. Les filles sont propulsées dans le véhicule qui commence doucement à avancer. L’homme me demande de rentrer. Je garde la main de Tess et fais signe que je ne monterai pas tant que Lilian ne sera pas descendu du toit. Le chauffeur commence à s’impatienter.
En quelques instants nous nous retrouvons embarqués dans le collectivo, sur la première banquette derrière le chauffeur. Il y a 3 autres rangées derrières nous, toutes pleines elles aussi. Il nous semble que le véhicule soit complet mais nous nous arrêtons à la sortie de la ville pour embarquer deux autres passagers. Nous nous élançons à toute allure sur cette petite route qui se faufile au travers des butes par de violents lacets. Les filles n’en reviennent pas de la vitesse à laquelle nous avançons… nous non plus. Nous avons les yeux rivés sur la route, nous sommes à plus de 100km/h malgré les virages et le dénivelé. Parfois le compteur affiche 130. Nous avons l’impression d’être dans des montagnes russes. Les kilomètres défilent à une telle vitesse que nous en avons le tournis.
« Mais j’ai chaud moi ! » se plaint Tess. Nous sommes maintenant 27 dans la camionnette prévue pour 16. Les gens sont les uns sur les autres derrière nous. Personne ne semble surpris par la conduite du chauffeur. Dire que nos parents étaient rassurés de nous savoir prendre le bus sur cette route qui s’annonçait dangereuse… nous pensons fort à eux à ce moment là.
Un arrêt supplémentaire et un nouveau passager monte dans le véhicule. L’assistant du chauffeur prend alors place sur l’échelle à l’extérieur pour continuer le trajet. Notre parcours est ponctué d’arrêt en pleine nature pour prendre ou déposer des personnes. Tout semble irréel, le chauffeur pousse le volume de la musique comme pour couvrir le bruit du moteur et pour booster son adrénaline. Il se prend à jouer de la batterie sur son volant. Nos coeurs manquent de lâcher. Nous nous accrochons aux filles.
Nous remercions les tumulos, tellement détestés en vélos, car il stoppent régulièrement les excès de vitesse du bus, reprenant par la même occasion notre souffle.
La route monte raide, très raide par certains endroits et nous sommes contents de ne pas être en vélos. Le collectivo manque de caler à plusieurs reprises mais il tient bon… jusqu’à ce qu’en pleine côte, l’embrayage lâche.
Le copilote à l’arrière du véhicule saute à terre et court couper quelques feuilles de palmiers qu’il place en amont du véhicule pour annoncer la panne.
La camionnette se vide de son chargement humain et chacun y va de sa pierre pour bloquer les roues. Il n’y a aucune panique, tout semble normal.
Le copilote rembourse tout les passagers. Alors que nous commençons à faire descendre toutes nos affaires du toit, celui nous réclame les 75 QTZ du voyage que nous n’avons pas encore payé. Nous protestons, il a remboursé tout le monde mais les gringos vont payer ? No way ! Nous le questionnons pour connaitre la distance qui nous sépare de Coban. D’après lui c’est une affaire de 8km. Comme nous roulons depuis plus d’une heure à un rythme endiablé, cela semble plausible. Nous acceptons de lui donner 40 QTZ pour nous avoir monter jusque ici.
Pendant que nous finissons de tout décharger, un autre collectivo ramasse les passagers qui étaient à bord avec nous. Avant de les laisser partir nous interrogeons un autre local pour lui demander son avis sur le reste à parcourir. Il nous répond : « 5 km ». Ceci semblant à peu prêt cohérent nous décidons de finir à vélo en se disant qu’il faut probablement compter sur 15km.
C’est parti, nous remettons nos sacoches sur les vélos, réorganisons les affaires et enfourchons nos montures. Nous n’avons aucune idée de l’endroit où nous sommes, nos iphones, faute de bonne connexion internet ces derniers jours nous donne notre position GPS mais pas de fond de carte. La route est sans répit avec nous, ça monte sec puis ça redescend très fort. Nous n’aimons pas cette descente qui est bien trop longue. Nous nous arrêtons à bout de souffle après 5km. Une bonne barre de céréales et c’est reparti ! 2 km plus loin, nous interrogeons un homme qui nous dit qu’il reste… 8km. Ok nous poursuivons jusqu’à passer sur un pont. Les croisements de rivières sont toujours une excellente occasion de se positionner sur une carte. Nous faisons le point et le verdict tombe : il doit rester environ 25km et environ 1000m de dénivelé. Face à nous un nouveau un mur se dresse. Nous sondons à nouveau un local. Il estime à 40km la distance à parcourir. A ce moment précis, mon espagnol a beau être assez pauvre il comprend que ce n’est pas possible, entre 5km 8km et 40km il y a un monde… il est aussi désolé qu’amusé.
Notre moral est mis à rude épreuve et décidons d’arrêter le prochain collectivo. A nouveau, nous détachons nos sacoches et les emballons dans les sacs. Les dix premiers bus ralentissent mais continuent leur route. Liv et Tess se découragent : « Mais c’est pas possible, on va jamais y arriver« . Elles observent toutes ces épreuves avec leur yeux d’enfants et se rappellent de notre arrêt forcé à Belize. En bon parents nous les rassurons : « Nous allons y arriver car nous n’avons pas le choix« .
Finalement un collectivo s’arrête à notre hauteur et nous embarque. Nous sommes plutôt bien installés à l’arrière du véhicule. Le mur que nous n’avons pas osé affronter est de plus en plus raide et doit s’allonger sur un bon kilomètre. Nous n’y serions jamais arrivé, il faut le reconnaitre.
Nous arrivons à Coban après 25km de montée. La ville est noyée dans le brouillard et c’est dans le froid que nous débarquons dans la boue de la station de bus. Pour la troisième fois de la journée, nous remettons nos affaires sur les vélos sous les yeux attentifs des badauds.
Nous avons besoin d’un peu de repères, il nous faut trouver un accès internet. Nous sommes épuisés apercevons au loin un McDonald ! Nous allons nous y mettre au chaud le temps de manger quelques frites, de se connecter à internet pour recharger notre carte de la ville.
Nous trouvons finalement repos à la Casa Luna. Nous y resterons le temps qu’il faut pour recharger nos batterie et trouver un moyen pour quitter la ville dans les prochains jours.
C’est la troisième fois que nous n’arrivons pas « à vélo » à une de nos étapes. A chaque fois nous sommes pris d’un sentiment particulier. On se sent encore plus étrangers que d’habitude, n’ayant pas eu le temps de voir la ville approcher. C’est pourquoi nous ressentons le besoin de marquer une pause pour retrouver de nouveaux repères : une épicerie ici, un parc là. Notre « chez nous » se limite à nos vélos, notre carriole et notre tente ou chambre d’hôtel.
Une fois cette zone de confort rétablie, nous pouvons à nouveau en sortir !